Billets qui ont 'Perec, Georges' comme nom propre.

Mensonges

Nous sortons ensemble des vestiaires :
— Je viens de mentir en disant que j'étais coincée dans le RER et que j'allais être en retard.
— A ta famille? Pour ne pas dire que tu étais au club?
— Oui.
— Ah… c'est comme quand je paie en liquide pour ne pas qu'on voit que j'ai acheté de nouvelles chaussures.





Bibliophore :
Sans l'orang-outang d'Éric Chevillard (j'ai récupéré de nombreux Chevillard même si je ne suis pas sûre que son écriture systématique ne m'ennuie pas un peu.

Un homme remarquable de Robertson Davies. J'ai lu ce livre en 1996 — et sans doute ce livre précisément, cet objet physique-là. Écriture romanesque agréable pour personnes qui aiment les romans. C'est de moins en moins mon cas, mais il y a dans ce livre deux ou trois phrases qui m'ont marquées ainsi qu'un épisode d'expertise de faux tableau qui me fascine.

Les Choses - Une histoire des années soixante. de Georges Perec. Un exemplaire de 1965, relié, avec le commentaire de la bibliothécaire tapé à la machine et collé sur la première page: «Prix Renaudot 1965. Sylvie et son mari, psycho-sociologues à Paris ne sont pas pauvres mais rêvent de large aisance dans la lassitude d'une vie qui repose sur le désir des choses. Une expérience à Sfax les déçoit et ils espèrent trouver fortune à Bordeaux. Sans véritable intrigue; témoignage sociologique bien observé, confrontant un couple avec son époque, d'une ironie triste, lucide et intelligente, écrit en un style pur et classique, un peu fastidieux. Large public. F.M. 1965»

(Et je vois dans ces notes des bibliothécaires la trace d'une époque où l'on espérait éduquer l'ouvrier ou l'employé de bureau. Mais peut-être que je fantasme.)

Je me souviens que ce livre est une réponse aux Mots de Sartre (1964), suivi de la synthèse Les mots et les choses de Foucault (1966). On savait s'amuser à l'époque.

Oulipotes

Premier Oulipo de l'année (la dernière fois j'ai oublié de venir).
Pièce de théâtre W ou les souvenirs d'enfance au jeudi de l'Oulipo. Le texte suit fidèlement le livre et c'est glaçant.

Puis pizzeria, dans une salle où nous sommes seuls et pouvons nous permettre de rire à gorge déployée (bon, ce n'est pas comme si nous nous gênions beaucoup habituellement).
Conversation avec M. qui a repéré quelques citations de ma part qui parlent de chameau et d'hébreu.
Par coïncidence, lui-même lit actuellement les écrits de grandes voyageuses des siècles précédents et il est rempli d'admiration. Il me cite Jane Dieulafoy (quel nom!) qui suivit son mari en Perse habillée en homme (elle passait pour son fils) et madame de Bourboulon qui incita son ambassadeur de mari à traverser la Chine pour rejoindre Moscou (plutôt que le traditionnel voyage par mer).

Le résultat de quelques recherches internet :
Trois livres de Jane Dieulafoy chez Phébus, sans doute lisibles en ligne sur Gallica :
Une amazone en Orient. Du Caucase à Persépolis 1881-1882: Paris, Phébus, 1987, 2010
L'Orient sous le voile. De Chiraz à Bagdad 1881-1882: Paris, Phébus, 1990, 2011
En mission chez les Immortels, Journal des fouilles de Suse 1884-1886: Paris, Phébus,1990

Une page de l'ambassade de l'ambassade de France en Chine rend hommage à Catherine de Bourboulon et Hélène Hoppenot. Le voyage de Mme de Bourboulon a été raconté par Achille Poussielgue.

Je signale pour mémoire cette liste de "mémoires par ou sur des diplomates français".

Félix Nussbaum

Un peu ahurie, trop de nostalgie, de culpabilité, de bonnes résolutions — pas assez de sommeil.
Paul est mort, C. est parti, je suis libre (le mot naturel serait "seule", mais il ne convient pas avec son aspect triste. Ce n'est pas triste, c'est dépouillé.) Impression d'espaces et de temps infinis.

Exposition Félix Nussbaum. Sobriété et dénument, et pourtant, une impression de richesse des tons, chaque couleur "pauvre" (beige, marron, brun, avec un petit carré de ciel bleu ou de torchon blanc ou de bandeau vert) travaillée dans son épaisseur. Est-ce par ce qu'il y a de très nombreux autoportraits qui vous regardent dans les yeux que l'on a l'impression que ce peintre vous parle? Il n'interroge pas, la toile est la réponse, il montre, il informe, parfois avec une imperceptible ironie qu'il est difficile d'attribuer à un point particulier du tableau (peut-être le pli de la bouche, l'ombre de barbe?). Ses tableaux sont des reportages intérieurs qui prévoient les massacres extérieurs (prévoient ou voient au loin). C'est sans concession: voilà. Voilà où nous en sommes. Dans la chambre sans meuble je peins des murs et ma tête et la fenêtre parce que je n'ai que ça. Et mes souvenirs du camp de Saint-Cyprien. Mais je peux aussi imaginer comment cela finira. Ou est en train de finir.

Il ne se trompait pas.

Je quitte le musée avec les Récits d'Ellis Island pour les photos. En 1976 ou 79 (je ne sais plus [1]), on pouvait rencontrer des gens qui étaient arrivés en Amérique avant la première guerre mondiale, avant la Révolution d'octobre, qui avaient connu les shelts inexorablement détruits. On pouvait marcher à côté de légendes vivantes, comme ces vieilles personnes aujourd'hui dans le métro de Berlin ou comme Svetlana Geier, des gens qui ne peuvent vous raconter leur histoire sans raconter une partie de l'histoire du XXe siècle.



Notes

[1] l'époque représentée dans Potiche. Je deviens de plus en plus sensible au fait que les époques ne se succèdent pas mais se chevauchent, et qu'il faut beaucoup d'attention pour se comprendre: plusieurs représentations du monde cohabitent sans arrêt autour de nous.

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